Syrie : Ce qui ressort des négociations d'Astana
- Par rousseau-philippe
- Le 24/01/2017
- Dans Syrie
Après l’échec des négociations de Genève au printemps 2016, de nouveaux pourparlers inter-syriens ont commencé ce lundi 23 janvier à Astana capitale du Kazakhstan, ex-République soviétique musulmane et turcophone. Une dizaine de groupes rebelles y sont représentés. Organisées par la Russie, ces discussions surviennent après la reprise d’Alep-Est par les forces gouvernementales syriennes. Le tout est parrainée par la troïka - Russie, Turquie, Iran -. La Russie et l'Iran allié indéfectible de Damas, la Turquie parrain de la rébellion.
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Les organisateurs, ceux qui ont une influence réelle sur le terrain
La Russie
Moscou en est le véritable maître d’œuvre, elle considère qu’il est plus productif de négocier avec les groupes armés – qui dirigent la délégation de l’opposition à Astana – qu’avec le bras diplomatique des anti-Assad, principalement composé de dissidents en exil, qui était aux négociations de Genève en 2014 et 2016.
Moscou, la force militaire dominante en Syrie, offre en quelque sorte une sortie aux groupes rebelles : l'amnistie, s'ils rendent les armes. Ces derniers en profitent pour négocier l'obtention d'une partie du pouvoir en contre-partie.
Moscou ne veut pas de combat à Idlib. Elle veut régler pacifiquement et de manière politique. Cependant, tout comme à Alep-Est, si les rebelles s'obstinent, elle irait jusqu'au bout des combats.
L'Iran
Téhéran, chiite, se réjouie car l’intervention militaire russe a sauvé Assad également chiite. La Syrie reste une passerelle indispensable pour l'Iran vers le Hezbollah libanais chiite.
Téhéran s’est opposé à l’invitation de Moscou à la nouvelle administration Trump, qui n’est finalement représentée que par l’ambassadeur des États-Unis à Astana.
Téhéran est pour un combat à Idlib, militairement elle veut aller jusqu'au bout mais si un mécanisme de cessez-le-feu devient permanent, elle veillera à ce qu'il favorise au maximum Damas.
La Turquie
Si une dizaine de formations rebelles ont accepté de s’asseoir à la table de négociation, c’est en partie grâce à Ankara. Longtemps le fer de lance du front anti-Assad, elle voulait que ce dernier quitte le pouvoir.
Ankara a récemment recentré son action en Syrie contre les séparatistes kurdes du PYD (Parti de l’union démocratique) et l’État islamique. Elle accepte maintenant le président Assad.
Ankara a besoin de s’attirer les bonnes grâces de Moscou pour consolider sa mainmise sur la zone que son armée a conquise dans le Nord syrien, un territoire tampon destiné à empêcher les Kurdes de prendre le contrôle de la zone frontalière. L’instauration d’un cessez-le-feu durable pourrait permettre à Ankara de rallier d’autres combattants à sa cause.
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Les négociateurs
Damas n’aimerait pas se contenter d’un simple cessez-le-feu, dont les rebelles pourraient profiter pour se réarmer. Elle conçoit la conférence d’Astana comme un prélude à la reddition de ses ennemis, qu’elle qualifie probablement à juste titre de terroristes. Cependant, un cessez-le-feu temporaire lui permettrait de concentrer ses forces contre Jabeh al Fatah (al Qaïda) et de reprendre Idlib et Palmyre.
Les rebelles
Une série de groupes armés comme Jaïch Al-Islam, salafiste pro-saoudien, présent dans la banlieue Est de Damas. C’est un de ses hommes Mohamed Allouche, qui fait office de négociateur en chef.
Encore sous le choc de la perte d’Alep-Est, les rebelles doivent composer avec deux objectifs divergents : La consolidation du cessez-le-feu, dont ils ont besoin, la libération de prisonniers et l’aide humanitaire, de l’autre côté maintenir le contact avec les Russes, depuis qu'ils ont perdu la protection des États-Unis.
Ce qui est surprenant, c'est qu'ils menacent de reprendre les hostilités. S'ils le font, ils seront vaincus.
Les observateurs
États-Unis et Union européenne
En 2014 et 2016, ils étaient les maîtres d’œuvre des pourparlers de paix de Genève, aux côtés de la Russie. À Astana, ils sont observateurs. Les Occidentaux sont marginalisés et n'ont plus de point d'appui sur le terrain. L’ambassadeur américain au Kazaksthan est en mission pour le compte de la nouvelle administration américaine de Donald Trump. En effet, c'est le premier contact officiel avec la Russie pour discuter d’un moyen efficace pour lutter contre le terrorisme.
Les négociations
Seule la cérémonie d’ouverture a permis de prendre une photo, celle de 13 chefs militaires de l’opposition syrienne faisant face au gouvernement syrien. Les protagonistes ont refusé que les négociations se déroulent face-à-face. Rapidement le ton est monté et les négociations se sont poursuivies à travers des portes closes, avec d’un côté la délégation du gouvernement syrien assistée par les Russes et de l’autre, les rebelles avec les Turcs dans le rôle de messagers.
Ces négociations ont porté sur trois points chers à la rébellion : le cessez-le-feu, l’acheminement de l’aide humanitaire et la libération de prisonniers.
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Le cessez-le-feu
Chacune des parties s'est renvoyé la responsabilité des violations de la trêve. Certains rebelles désignent les Iraniens comme n'y étant pas intéressés. Ils mettent en cause la présence des milices étrangères iraniennes, dont il dénonce les exactions.
Les tensions se sont cristallisées autour de la localité de Wadi Barada proche de Damas, où les combats ont repris. Fateh al Cham (al Qaïda) a endommagé les réservoirs d'eau qui s'y trouvent, empêchant ainsi l'approvisionnement en eau potable de quelques millions de citoyens de Damas. À cet endroit, le gouvernement a pris la ferme décision d'y respecter le cessez le feu que lorsqu'il aura repris totalement le contrôle de l'eau de la capitale.
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L’aide humanitaire
L’aide humanitaire qui ne parvient pas aux civils. En janvier, un seul convoi de l'ONU a pu se rendre à destination. Une vingtaine de villes syriennes sont assiégées par les forces de Bachar Al-Assad, tandis que deux localités chiites pro-régime le sont par les rebelles, soit 600.000 personnes dépourvues de tout.
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La libération des prisonniers
Les rebelles commenceraient par les femmes et les enfants.
Le dilemme des rebelles
Faire comme si le renversement du régime était toujours possible, comme si la chute d’Alep n’avait rien changé et s’attirer ainsi les foudres de Moscou ou mettre en sourdine l’exigence du départ d'Assad dans l’espoir de préserver un peu de pouvoir, mais de cette façon ils se couperaient entièrement de leur base.
Les salafistes en plein dilemme
Avant le fiasco des rebelles à Alep, Moscou réclamait l’inscription d'Ahrar Al-Cham dans les négociations de cessez-le-feu. Aujourd’hui, ils sont inscrits sur la liste du terrorisme international. Les salafistes Ahrar Al-Cham ont refusé d’aller à Astana. Ils hésitent entre deux courants, l’un pro-Al-Qaida et l’autre pro-Turquie.
Les islamistes Noureddine Zinki qui ont longtemps joui du label ASL et des financements USA et européens, ont perdu le soutien des États-Unis au fur et à mesure que ses combattants devenaient djihadistes. Fateh al Cham les menaçaient de représailles s'ils se présentaient à Astana. On note qu'un cessez-le-feu durable pourrait accélérer le déclenchement d’une nouvelle guerre entre rebelles dits "modérés" et djihadistes. L’EI et Fateh Al-Cham, n’étaient pas invitées à Astana.
Objectifs d'Astana
« Les objectifs d’Astana comprennent, d’une part, la consolidation du cessez-le-feu [décrété le 29 décembre 2016 au terme d’un accord russo-turc et signé par neuf organisations rebelles] et d’autre part, un accord sur la pleine participation des commandants sur le terrain au processus politique, à savoir la rédaction d’une Constitution, et l’organisation d’un référendum et d’élections », a souligné Sergueï Lavrov, ministre des affaires extérieures de la Russie.
Marginalisés, les Occidentaux, tout comme les capitales arabes sunnites, appuient cette tentative d’établir un cessez-le-feu durable, malgré un certain scepticisme. « Astana, c’est pour consolider le cessez-le-feu, mais rien de plus. Après, on revient à Genève », disait le ministre saoudien des affaires étrangères.
Divergences sur le sort de Bachar Al-Assad
Même si la donne a totalement changé sur le terrain, le principal point d’achoppement demeure toujours le sort de Bachar Al-Assad. L’opposition, les Occidentaux sauf Trump, les pays du golf exigent toujours son départ au moins à la fin du processus de transition même s'ils sont désormais affaiblis militairement et politiquement. Les Russes tiennent à Assad tant qu’il n’existe pas d’alternative pour garantir la survie du gouvernement. Les Iraniens sont encore plus intransigeants dans leur soutien au président.
Les Russes ont toujours voulu réglé politiquement, aussi ils remettent l’ONU au centre du jeu. L’envoyé spécial de l'ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura est présent à Astana. La Russie lui fournie une feuille de route détaillée de sortie de crise, avec l’instauration d’un cessez-le-feu, puis l’ouverture de négociations sous l’égide des Nations unies pour une transition politique, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et des élections générales.
Ce que la conférence d’Astana va entériner, c’est la fin de l’idée du renversement d'Assad. Les pourparlers doivent reprendre mardi. Ils doivent reprendre à Genève, le 8 février sous l’égide des Nations unies.
Sources :
France 24 : Conférence d'Astana : pas de percée notable mais de l’"optimisme prudent", 25/01/17
Le Monde : Syrie : première journée de négociations tendues à Astana, Isabelle Mandraud, 23/01/17
Le Monde : Syrie : quelles sont les forces en présence à Astana ?, Benjamin Barthe, 23/01/17
Le Monde : A Astana, la Russie veut transformer son succès militaire en Syrie en victoire diplomatique, Isabelle Mandraud , 22/01/17
Le Monde : Après le choc d’Alep, les rebelles modérés obligés de jouer le jeu de Moscou, Benjamin Barthe, 20/01/17
Bulletin of the Russian Centre for reconciliation of opposing sides in the Syrian Arab Republic (January 11, 2017)
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