L'évolution du conflit profite à Assad
- Par rousseau-philippe
- Le 26/02/2016
- Dans Syrie
Poutine : Toujours en avance
Par l’annonce du "cessez-le-feu" et la tenue d’élections législatives le 13 avril, Moscou et Damas se conforment au plan de paix de l’ONU (résolution 2 254 du 18 décembre 2015) mais à leurs conditions. Vladimir Poutine est toujours à l'attaque dans la partie d’échec, avec un coup à l’avance et ses adversaires se contentent d’une défensive maladroite du genre, les Russes bombardent les civiles. Point à la ligne.
Cessez-le-feu
Après la grande offensive réussie des dernières semaines, la Russie offre un cessez-le-feu. L’armée syrienne, ayant obtenu beaucoup de gains territoriaux, a maintenant besoin de construire ses lignes de défense, avant de repartir à l’assaut. Le but est d'empêcher une contre-offensive.
Offensive contre l’EI
Après une offensive victorieuse autour d’Alep contre les rebelles, la Russie et l’Armée syrienne vont se tourner contre l’État islamique à l’Est de la ville. Cela aura le double avantage de consolider la défense d’Alep, en élargissant le périmètre de sécurité autour de la ville et de sécuriser définitivement la route qui relie la métropole du Nord-Ouest au reste de la zone gouvernementale. Cette artère étant régulièrement coupée par l’EI.
À partir de Kuwaires, l’Armée syrienne peut lancer une offensive conjointe avec les Forces Démocratiques Syriennes contre l’État islamique. Les forces de l’EI entre Alep et l’Euphrate seraient ainsi coupées de Raqqa. Ce qui faciliterait l’avancée des FDS entre Afrin et Kobane. À Tabqa, l’armée syrienne serait, semble-t-il, pré-positionnée pour reprendre Raqqa. Mais Raqqa n'est pas son premier objectif. Sa priorité est Palmyre.
Élections législatives
Un mois à l'avance sur le calendrier officiel, le 13 avril, le président Syrien décide de convoquer les élections législatives, pour élire le nouveau Parlement. Il est acquis que l’opposition parrainée par Moscou y participera tandis que celle supportée par Ryad refusera. Les résultats seront donc sans surprise. La grande inconnue demeure la participation du PYD kurde. Il est dans l’intérêt de Bachar al-Assad d’ouvrir la représentation nationale aux Kurdes pour lui donner une légitimité et ensuite former un gouvernement d’union nationale qui puisse ressembler à la résolution onusienne.
La Turquie
La Russie capitalise sur sa démonstration "Hard Power" pour faire fléchir la Turquie, soutien principale de la rébellion au Nord-Ouest. Le message : cessez de soutenir les rebelles et fermez votre frontière. Dans le cas contraire, nous le ferons avec le YPG kurde, en vous envoyant au passage, 2 millions de réfugiés supplémentaires, qui vous déstabiliseront, vous et les pays européens.
La stratégie russe de la terre brûlée (bombardements d'hôpitaux compris) gonfle le flot de réfugiés vers la Turquie et l'Europe. Les millions de réfugiés syriens générés par le conflit, sont sans doute, l’arme la plus efficace de Vladimir Poutine, pour contraindre les ennemis de Bachar al-Assad, à la cessation des hostilités. Obama n'y oppose que des condamnations verbales et des appels à la diplomatie. La rébellion quant à elle, produit des cohortes de terroristes capables de frapper partout (Russie et Occident compris).
Erdogan aura du mal à envoyer son armée, même si elle est la deuxième armée de terre de l'OTAN (420.000 soldats et 5.000 chars). Les États-Unis ne soutiendront pas une telle opération. L’Arabie Saoudite, elle, est présentement occupée au Yémen. Les Turcs se retrouveront isolés et contraints de limiter leur soutien à la rébellion syrienne. Le régime Erdogan en est conscient. Il a pour priorité de contrer les Kurdes en Syrie, en les empêchant à tout prix de prendre la ville d'Azaz, sans aller au conflit avec Moscou.
Les groupes armés que la Turquie entretient en territoire syrien, ne sont pas de taille face aux bombardements russes. Malgré la non-approbation d'Obama, les obus d’artillerie turque lancés sur les Kurdes dans la région d’Azaz, ne les empêcheront pas d’avancer. Ils les ont pousser davantage dans les bras de Moscou, ce que n'aime pas Washington.
La Turquie, en laissant passer par son territoire des centaines de djihadistes pour défendre la ville d'Azaz contre le YPG, (ce qu’elle n’a jamais fait pour protéger Kobané de l’État islamique), a exposé au grand jour sa vraie politique.
La résolution russe contre les bombardements turcs sur les villages kurdes de Syrie, présentée au Conseil de sécurité de l’ONU et rejetée par les Occidentaux, place Vladimir Poutine comme protecteur des Kurdes. Désormais, si la Turquie bombarde de nouveau les Kurdes, elle sera responsable de la rupture du "cessez-le-feu". Les Kurdes ont dit "oui" à la trêve.
La rébellion divisée
Les alliés régionaux des États-Unis, les deux principaux bailleurs de fonds de la rébellion, la Turquie et l'Arabie saoudite, veulent toujours le départ de Bachar al-Assad. Le "cessez-le-feu" signifie son maintien au pouvoir. Il est donc difficile pour la Maison Blanche de leur faire admettre la trêve.
Il sera difficile d’obtenir que l’ensemble des groupes rebelles respectent le "cessez-le-feu", dont la plupart le considèrent comme une trahison. La crédibilité des États-Unis en prendra un coup. Du côté des alliés de Moscou, on parle d’une seule et unique voix tout en respectant la discipline.
La difficulté majeure face à l'application du "cessez-le-feu" est le Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. Il est sur tous les fronts, à Deraa, Alep, la banlieue de Damas. Il dirige la ville d’Idleb. Ahrar al-Sham et Al-Jolani sont ses proches alliés. Ils ne respecteront pas le "cessez-le-feu".
L'Occident doit sauver la face
Après cinq années de guerre civile, un désastre humanitaire, la création d’un foyer de djihadistes aux portes de l’Europe, sans compter des millions de réfugiés, les gouvernements occidentaux devront sauver la face devant leurs opinions publiques, par rapport à ce que Moscou leur impose : Assad demeure au pouvoir. Notons que cette population occidentale est de plus en plus préoccupée, par le danger terroriste et le flux de réfugiés, plutôt que par l'établissement de la démocratie en Syrie. Ce qui est le plus important pour la société occidentale : revenir au calme.
L'axe Damas-Téhéran-Moscou sait que les Occidentaux n'ont d'autre choix, qu'entre Damas et l'EI. Les Occidentaux rechignent à s'impliquer dans un tel bourbier, où tout intervenant extérieur est obligé de s'allier à des criminels, puisque plus aucun belligérant n'est « modéré » depuis longtemps, n'en déplaise à une certaine presse occidentale qui s'imagine que les rebelles modérés existent toujours et avec force.
Les politiciens occidentaux continueront leur contestation verbale, tout en laissant la solution russe s'installer petit à petit. Depuis l'intervention russe, Washington se concentre sur la seule destruction de l'État islamique, à l'Est de la Syrie et en Irak.
L'OTAN pris au piège
Un dérapage entre la Russie et la Turquie pourrait placer l'OTAN devant un dilemme insupportable : entrer en guerre ou nom, d'après l'article 5 du traité de l'Atlantique. Mais, cet article n'impose pas nécessairement le combat. On dit maintenant qu'il affirme seulement d'entreprendre « toute action jugée nécessaire ». Ce pourrait donc être par exemple, en fournissant munitions et renseignements. Remarquez que la riposte de l'Otan pourrait être très graduée, tout comme l'intervention militaire russe l'a été.
Libération : En Syrie, Poutine a encore un coup d’avance, Fabrice Balanche, 25/02/16
Les Échos.fr : L'Otan dans le piège de la crise syrienne, Yves Bourdillon, 19/02/16
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